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mardi 15 novembre 2016

Les questions sociopolitiques, les medias

Vanessa Kimberly





Quand les politiciens manquent d’idées ou de courage quant à promouvoir des politiques sociales, ils se contentent de surfer sur les perceptions et les sentiments populaires et finissent par « culturaliser », « religioniser » ou « islamiser » les questions sociales. Ainsi, en l’exprimant directement ou en le laissant entendre de façon implicite, on établit un lien entre les problèmes sociaux, la violence, la marginalisation d’une part et l’origine culturelle ou la religion des individus d’autre part. En panne d’idées politiques, on développe des théories politiciennes et populistes. Au cœur de ce processus, le danger consiste à voir les citoyens musulmans s’imprégner eux-mêmes de ce discours et penser que le problème n’est pas politique mais bien religieux et culturel : ils acceptent l’équation stipulant que, à cause de l’appartenance religieuse et culturelle minoritaire, ils ne pourront jamais se sortir de la marginalisation sociale. Le sentiment victimaire se justifierait donc, il n’y a rien à espérer ni de la société ni des politiques : la boucle est bouclée.

Cette logique est grave, il faut la refuser et la combattre. J’ai répété qu’il fallait lutter contre le sentiment victimaire mais cela ne doit pas nous empêcher de voir qu’il existe bien des victimes de discriminations à l’emploi, au logement et plus largement au faciès. Le racisme est une réalité et on trouve dans certaines cités ou banlieues des gestions qui rappellent malheureusement les logiques coloniales où l’on entretient, parmi les citoyens, le sentiment de valoir moins que les autres, d’être des citoyens de seconde classe. Reconnaître qu’il existe des victimes est une chose, entretenir un sentiment victimaire en est une autre. Au demeurant, j’en appelle à un sentiment exactement opposé : parce qu’il y a des victimes réelles, il faut s’opposer à toute tentation de victimisation et se prendre en charge pour revendiquer ses droits.

Cela commence par affirmer qu’il faut cesser de « culturaliser » et d’« islamiser » les problèmes parce qu’on ne sait pas les résoudre avec de nouvelles politiques sociales un peu téméraires. Nos politiciens manquent de courage et sont obsédés par le temps des élections qui n’est pas le temps, bien plus long, des réformes sociales. Les problèmes des structures sociales manquantes, du chômage, de l’habitat ou des discriminations sociales n’ont rien à voir avec la religion : ce sont des questions sociales qui exigent des politiques sociales. Il est réjouissant de voir que, lors des émeutes dans les banlieues françaises en 2005, la majorité de la classe politique a évité d’en faire un problème culturel et religieux : les conséquences auraient pu être dramatiques. Cependant, trois ans après les événements – et malgré des élections présidentielles, législatives et municipales – rien n’a été fait, rien n’a changé : on est resté prudent sur la qualification des émeutes mais la passivité qui a suivi ces dernières, avec le silence de la classe politique sur ces questions, donnent l’impression que celles-ci ne sont pas celles des vrais citoyens, qu’il ne s’agit pas de problèmes intérieurs réels et prioritaires : tout se passe comme si les cités et les banlieues étaient des territoires à part. Ces processus de « culturalisation » ou d’« islamisation » des questions sociales ou, à l’inverse, de leur déplacement dans une sorte de no man’s land citoyen, sont à l’œuvre dans tous les pays européens quand on s’approche des élections politiques ou en temps de crises.

Si l’on ajoute à cela la question de l’immigration, le tableau est encore plus sombre. Plutôt de considérer les phénomènes à l’aune des droits humains d’une part et des réalités économiques d’autre part, on en fait des questions d’identité, de religion et de culture : ces dernières sont non seulement menacées de l’intérieur mais également de l’extérieur par les flux migratoires incessants. Des propos tendancieux ou clairement racistes se répandent dans les discours politiques et parmi les populations : la sphère du politique et celle de la gestion économique sont désertées pour laisser libre cours à des considérations identitaires, « essentialistes », culturelles et religieuses justifiant la xénophobie et le rejet. En Suisse , au Danemark, en Espagne, en Allemagne, en France, en Italie et finalement à travers toute l’Europe, l’islam et les musulmans symbolisent non pas la figure du citoyen installé mais celle de l’éternel immigré à intégrer ou à stigmatiser. La question politique de l’intégration de la Turquie aurait dû être appréhendée sur la seule base des conditions d’adhésion : la Turquie se conforme-t-elle oui ou non aux conditions de l’intégration à l’Union Européenne ? Si oui, elle peut y adhérer ; si non, elle doit attendre et chercher à atteindre ces objectifs. Or, on assiste ici encore à un déplacement vers le religieux et le culturel : le problème turc, c’est explicitement ou implicitement dit, est une question religieuse et culturelle qui met en danger les équilibres européens et l’homogénéité culturelle du continent. Des députés européens l’ont dit et l’on fait mine de ne pas en être conscient au niveau des gouvernements : le président français Nicolas Sarkozy a néanmoins dit tout haut ce que la majorité pense tout bas. Triste tableau, dangereuses incohérences.

On constate partout ces mêmes déplacements du social et du politique vers le culturel et le religieux : incapables de proposer des politiques justes et égalitaires sur les plans sociaux et politiques, on justifie les incohérences, les contradictions et parfois les hypocrisies, en s’appuyant sur des considérations culturelles et religieuses qui expliqueraient ou justifieraient les traitements différentiels. Ce que les citoyens européens de confession musulmane doivent revendiquer de première urgence, c’est la reconnaissance de leur statut et le traitement égalitaire qui incombe à la société et aux collectivités à quelque niveau que ce soit. Il est question de repenser les politiques sociales, de même que la gestion nécessaire des rapports de pouvoir car il s’agit bien de cela en fin de compte. Il s’agit de se réconcilier avec la politique et la gestion des rapports économiques : en étant obsédées par les questions d’identité et en déplaçant les débats vers « les valeurs », « la culture » ou « la civilisation », les sociétés européennes évitent les questions de l’État de droit, de l’égalité de traitement, des rapports objectifs de domination, de minorisation et de marginalisation économiques et sociales, des discriminations politiques, du racisme et de la xénophobie et, ce faisant, entérinent des déficits démocratiques dangereux. Au nom d’une idée re-construite de son identité et d’une représentation de soi sélective et très idéologique, l’Europe semble, en effet, accepter de trahir au passage quelques-unes de ses valeurs démocratiques fondamentales. Le danger est réel.

On ne peut plus minimiser ou sous-estimer le rôle des medias dans les représentations et dans la nature des débats nationaux et internationaux. On peut effectivement rester passifs et subir la « logique médiatique » qui s’intéresse naturellement aux crises et amplifie les représentations problématiques ou négatives, ou alors l’on peut penser à engager les journalistes et les medias dans la dynamique générale dont je parle ici. Il ne s’agit pas de vouloir contrôler les journalistes ou leur liberté d’expression et d’analyse mais de travailler sur le fond, et le long terme, en rendant d’abord les journalistes conscients qu’elles/ils sont des citoyens et qu’il serait bon qu’elles/ils maintiennent éveillée leur conscience civique au moment même d’exercer leur profession. Cela veut dire pour eux de s’intéresser aux processus plutôt qu’aux faits divers, aux mouvements de fond qui construisent plutôt qu’aux seuls « scoops » ou à la couverture sensationnaliste des événements qui frappent ou qui choquent. Des « politiques médiatiques » s’imposent qui doivent penser à la formation des journalistes (sur les questions religieuses et culturelles d’une part et sur les questions sociales et les processus de marginalisation, etc. d’autre part). Il importe d’engager les medias de proximité et surtout à faire mieux connaître les actions locales intéressantes sur le court et sur le long terme. Les journalistes, parce qu’ils sont des médiateurs incontournables, façonnent les représentations et sont, de fait, des acteurs clefs dans la gestion du pluralisme social, religieux et culturel, dans le développement du sens de l’appartenance comme, enfin, dans la potentielle alimentation des peurs ou des phobies.
Les citoyens, les acteurs sociaux comme les politiciens doivent penser de façon plus rigoureuse et plus systématique le volet de la communication. À contre-courant des stratégies « relations publiques » et des jeux sur les effets d’annonce et sur l’image, il faut inviter les journalistes et les médiateurs à prendre le temps, à comprendre la complexité des enjeux et à appréhender les choses dans la temporalité plus longue et les évolutions historiques. Défi difficile s’il en est, tant les journalistes sont soumis(es) eux-mêmes à la pression du temps et des perceptions majoritaires : au demeurant, nous avons besoin aussi de quelques journalistes courageux(ses) qui osent aller contre les opinions établies, questionnent les certitudes et posent les bonnes questions. Elles/ils se font de plus en plus rares mais elles/ils existent et leurs contributions sont essentielles.
                                              
                                                           Tariq Ramadan

Vanessa Kimberly / Author & Editor

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